[interview] Loi économie circulaire : "La fin des emballages plastiques jetables sera un grand chamboulement pour les entreprises"

[interview] Loi économie circulaire : "La fin des emballages plastiques jetables sera un grand chamboulement pour les entreprises"

23.09.2020

HSE

Entretien avec Gaëlle Guyard et Clémence Andrieu, co-autrices d'un livre sur la loi économie circulaire qui vient de paraître. Elles décryptent pour nous quelques unes des nouvelles mesures et nous donnent leur avis sur leurs portées réelles, de la fin des emballages plastiques à l'obsolescence programmée, en passant par la réforme des filières REP.

 

 

Les Éditions Législatives (éditeur d'ActuEL HSE) publient Économie circulaire : passez à l'action. L'ouvrage décrypte la loi du 10 février 2020. Enrichi d'exemples sectoriels, de bonnes pratiques et de témoignages, il offre aussi des clefs aux entreprises et collectivités pour débuter – voire poursuivre – leur mue vers l'économie circulaire.

Il a été écrit, entre autres, par Marie-Pierre Maître, avocate, Emmanuelle Durrant, ingénieure territoriale, Adrian Deboutière, de l'Institut national de l'économie circulaire, et les rédactions HSE et Droit des affaires des Éditions Législatives. 

Nous avons profité de sa sortie en librairie pour interroger deux de ses auteurs. Elles reviennent sur certaines des nouvelles obligations et nous expliquent pourquoi cette loi aurait pu être plus ambitieuse, si elle s'était attaquée davantage à l'éco-conception notamment.

 Gaëlle Guyard a coordonné l'ouvrage. Elle est rédactrice spécialisée aux Éditions Législatives, où elle travaille essentiellement sur les questions de déchets et d'énergie. 

► Clémence Andrieu est ingénieure HSE et RSE et cheffe de rubrique au sein de la même maison d'édition. 

 
Si vous deviez écrire l’ "économie circulaire pour les nuls", quelle définition en donneriez-vous ?

Gaëlle Guyard : L’économie linéaire consiste à extraire, fabriquer, consommer puis jeter. Elle entraîne beaucoup de déchets, nous sommes arrivés aux limites de ce système économique. L’économie circulaire privilégie la production et la consommation durables. Au lieu de jeter un produit et d’en faire un déchet, on essaie d’abord de le réutiliser, le réemployer et si ce n’est pas possible, de le recycler pour être réincorporé dans de nouveaux produits. Le déchet doit devenir une ressource.

Vous écrivez que les entreprises les mieux préparées à ce changement seront les plus compétitives. Est-ce vérifié ? Certains secteurs n’ont-ils pas intérêt à poursuivre dans l’économie linéaire classique ?

Gaëlle Guyard : Certaines entreprises manquent déjà de matières premières. Cela va être de plus en plus difficile, et donc de plus en plus cher de s’approvisionner. Sans oublier les enjeux géopolitiques de dépendance vis-à-vis de la Chine, notamment. Ensuite, jeter et faire traiter les déchets coûte cher, donc les entreprises ont tout intérêt à s’en passer. Cela peut aussi être un outil marketing. Mais mettre la circularité en marche demande du temps et de l’argent. Les matières recyclées coûtent cher, mais les prix vont progressivement baisser.

Existe-t-il cependant des effets pervers à l’économie circulaire ?

Gaëlle Guyard : Il faut bien prendre en compte tout le cycle de vie d’un produit. On peut parfois avoir l’impression d’être vertueux, alors qu’on ne l’est que sur une période du cycle de ce produit, que par ailleurs on le fabrique avec des matières premières qui proviennent de loin, que son utilisation consomme beaucoup d’énergie ou qu’on ne peut pas le recycler. Une étude de l’Ademe montre par exemple qu’améliorer l’isolation d’un réfrigérateur permet de diminuer la consommation d’énergie en phase d’utilisation, mais peut nécessiter d’utiliser davantage de matériaux ou des matériaux plus toxiques. Dans ce cas de figure, en diminuant l’impact environnemental au niveau de la fabrication et de l’utilisation, on l’augmente au niveau des matières premières.

Quelle est la philosophie générale de la nouvelle loi ? Consiste-t-elle plus à inciter ou à contraindre ? 

Gaëlle Guyard : La loi comporte quelques nouvelles contraintes. Par exemple, jeter les invendus des produits non alimentaires, comme on l’a vu avec Amazon, sera désormais sanctionné. Beaucoup de sanctions ont été durcies, pour le gaspillage alimentaire ou la lutte contre les dépôts sauvages, entre autres. Il s'agit bien de contraintes, mais elles restent modestes... à l'image du droit de l'environnement en général, qui n'est pas un droit très répressif.

Quelle est la mesure qui aura le plus d’effets selon vous ?

Gaëlle Guyard : Ce sera peut-être la fin des produits plastiques à usage unique. La loi prévoit de les réduire progressivement pour arriver à une sortie complète des emballages plastiques jetables en 2040. Cela a commencé en janvier dernier par les gobelets et assiettes, ce sera ensuite les pailles et les boîtes en polystyrène expansé (type boîtes à kebab ou burgers)… Cela va être un grand tournant dans nos modes de consommation, mais aussi un grand chamboulement de la production pour les entreprises.

On a aussi beaucoup parlé des filières REP (responsabilité élargie du producteur). Qu'est-ce qui change pour elles ? 

Gaëlle Guyard : La loi crée une dizaine de nouvelles REP (articles de sport et de loisir, mégots de cigarette, bâtiment…). D’autres sont élargies, comme celle des emballages, qui ne concernait que les emballages ménagers et qui est étendue aux emballages professionnels. Le bonus-malus, c’est-à-dire la modulation de l’éco-contribution selon que le produit est plus ou moins respectueux de l’environnement, est généralisé à toutes les filières. Les producteurs soumis aux filières pollueur-payeur devront aussi élaborer tous les cinq ans un plan d’action de prévention et d’écoconception de leurs produits. Les éco-organismes auront des objectifs chiffrés en matière de réemploi, de réparation, de réutilisation et surtout d’écoconception pour les produits de ces filières, et ils seront sanctionnés s’ils ne les atteignent pas. Bref, tout le droit des REP est réécrit.

La loi comporte aussi des mesures sur l’obsolescence. Quoi de neuf ?

Clémence Andrieu : L’obsolescence programmée, c’est-à-dire lorsqu'elle est volontaire, est un délit depuis 2015. La loi économie circulaire tente de lutter contre l’obsolescence de manière plus générale et en amont, dès la conception, en introduisant un indice de réparabilité dès 2021, qui deviendra l'indice de durabilité en 2024. Cela reprend l'idée que plus le consommateur est averti, plus le producteur propose du durable. La loi s’attaque aussi à l’obsolescence logicielle : les fabricants doivent maintenant informer de la durée pendant laquelle les mises à jour resteront compatibles avec un usage normal de l’appareil.

Une partie du texte concerne l’information au consommateur. Cela va-t-il limiter le greenwashing ?

Clémence Andrieu : La loi instaure de nouvelles obligations : l'affichage sur la durabilité des produits dont on vient de parler, mais aussi sur la présence de perturbateurs endocriniens, par exemple… L’utilisation du terme "matières recyclées" doit s’accompagner du pourcentage des dites matières. Celui de "reconditionné" sera précisé par décret. Oui, cela limitera un peu le greenwashing, mais celui-ci reste très dépendant des pratiques des équipes de communication et de marketing, qui en voulant simplifier à l'extrême parviennent à un message trompeur. Nous avons, dans le livre, listé les expressions ("biodégradable", "biologique", "compostable"…) en expliquant dans quelles conditions on pouvait les employer. 

En revanche, vous écrivez dans votre livre que cette loi "ne change pas radicalement notre société". Qu’aurait-elle pu faire de plus ?

Gaëlle Guyard : Elle a beau s’appeler loi économie circulaire, il me semble qu'elle ne permet pas d’entrer totalement dans l’économie circulaire. Elle ne touche pas au processus de ce nouveau modèle économique : elle comporte plein de petites mesures du quotidien (par exemple, l’interdiction des sachets de thé non biodégradables), mais elle n’exige pas que les entreprises fassent de l’écoconception, ce qui est pourtant le point central de la circularité. C’est bien, mais ce n'est pas encore suffisant.

Clémence Andrieu : On aurait pu faire beaucoup plus ! Personnellement, je partage l'inquiétude de plusieurs experts disant qu’il est déjà très tard d’un point de vue climatique et environnemental. Donc ce n’est pas avec des demi-mesures qu’on va s’en sortir. Par exemple, une bonne partie de la loi concerne l’affichage, avec l’idée que cela aura un effet vertueux parce que les producteurs seront poussés à faire mieux. On aurait très bien pu décider de les obliger à faire mieux au niveau de la conception. Mais c’est vrai que contraindre les entreprises à ne produire que des choses utiles pour plus de sobriété, c’est un changement de société, la marche était peut-être trop haute. C’est dommage, parce qu’on a vu avec la crise sanitaire que quand les entreprises doivent se mettre en ordre de marche (s’approvisionner en France pour l’alimentaire, instaurer le télétravail…), elles y arrivent. Quand on veut, on peut.

HSE

Hygiène, sécurité et environnement (HSE) est un domaine d’expertise ayant pour vocation le contrôle et la prévention des risques professionnels ainsi que la prise en compte des impacts sur l’environnement de l’activité humaine. L’HSE se divise donc en deux grands domaines : l’hygiène et la sécurité au travail (autrement appelées Santé, Sécurité au travail ou SST) et l’environnement. 

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Pauline Chambost
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